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L’Oeuf

02/08/2010

Au détour de mes flux RSS, je suis tombé sur un très bon texte original à souhait qui m’a rappelé les Thanatonautes de Werber, un bouquin qui m’avais bien plu à l’époque. Ce texte n’est pas très long et vous devriez prendre 10 minutes pour le lire. La page d’origine est en anglais et je suis donc l’auteur de l’adaptation française qui suit. Si ce texte vous a plus, n’hésitez pas à le partager. Moi, il m’a plu, alors c’est ce que je fais avec vous.

L’Oeuf

De Andy Weir, Adapté de l’anglais par Nicolas Demange.

Tu rentrais chez toi lorsque tu mourus.

C’était un accident de voiture. Pas des plus impressionnants mais néanmoins fatal. Tu laissais derrière toi une femme et deux enfants. Ce fut une mort non douloureuse. Les urgentistes firent leur possible pour te sauver mais en vain. Ton corps était tellement en charpie que tu fis bien de ne pas y rester, crois-moi.

Et c’est à ce moment-là que tu me rencontras.

« Quoi ?… Que s’est-il passé ? », tu demandas, « Où suis-je ? »

« Tu es mort », répondis-je d’une façon très détachée et sans prendre de détours.

« Il y avait un… un camion et il s’est mis à déraper… »

« Ouaip », dis-je.

« Je… Je suis mort ? »

« Ouaip. Mais ne t’en fais pas, tout le monde meurt. », dis-je.

Tu as regardé autour de toi. Il n’y avait rien que le néant. Juste toi et moi. Tu demandas « Où sommes-nous ? Dans l’après-vie ? »

« Plus ou moins », dis-je.

« Tu es Dieu ? »

« Ouaip, »  répondis-je, « Je suis Dieu. »

« Mes enfants… ma femme », tu dis.

« Que leur veux-tu ? »

« Ils vont s’en sortir ? »

« Voilà ce que j’aime,  » dis-je. « Tu viens de mourir et ce qui te préoccupe le plus, c’est ta famille. C’est vraiment bien tout ça. »

Tu me regardas avec fascination. A tes yeux, je n’avais rien d’un Dieu. Je ressemblais à n’importe quel homme. Ou même à une femme. Peut-être une vague image d’autorité. Plus comme un professeur de français  que comme le tout puissant, en tout cas.

« Ne t’en fais pas,  » repris-je. « Ils vont très bien s’en sortir. Tes enfants se souviendront de toi comme d’un homme parfait en tout point. Ils n’ont pas eu le temps de développer un quelconque mépris envers toi. Ta femme pleurera extérieurement, mais se sentira secrètement soulagée. Pour être franc, ton mariage s’effondrait. Si ça peut te consoler, elle se sentira coupable de se sentir soulagée.

« Oh,  » tu dis. « Et que va-t-il se passer à présent ? Je vais au paradis ou en enfer ou un truc dans ce genre ? »

« Ni l’un ni l’autre » dis-je. « Tu vas être réincarné. »

« Ah,  » tu dis. « Donc les Hindouistes avaient raison. »

« Toutes les religions ont raison à leur manière. » répondis-je. « Marche avec moi. »

Tu me suivis tandis que nous arpentions le vide. « Où va-t-on ? »

« Nulle part en particulier », dis-je « C’est juste sympa de marcher en parlant. »

« A quoi bon, alors ? » tu repris. « A ma renaissance, mon ardoise sera simplement effacée, c’est ça ? Un bébé. Donc toutes mes expériences et tout ce que j’ai vécu dans cette vie n’aura aucune importance. »

« Pas du tout ! » dis-je. « Tu gardes en toi toutes les expériences et les connaissances de tes vies passées. Tu ne t’en souviens simplement pas pour le moment. »

Je m’arrêtai de marcher et te pris par les épaules. « Ton âme est plus magnifique, plus belle et plus gigantesque que tu ne peux l’imaginer. Un esprit humain ne peut contenir qu’une minuscule fraction de ce que tu es. C’est comme plonger un doigt dans un verre d’eau pour voir si elle est chaude ou froide. Tu ne mets qu’une infime partie de toi dans ton vaisseau et quand tu le ramènes, tu t’enrichis de toutes les expériences vécues. »

« Tu étais dans un humain les 48 dernières années. Donc tu n’as pas encore eu le temps de te détendre et de sentir le reste de ton immense conscience. Si on demeure ici assez longtemps, tu commenceras à te souvenir de tout. Mais il n’y a aucun intérêt à faire cela entre chaque vie. »

« Combien de fois ai-je été réincarné, alors ? »

« Oh, plein de fois. Vraiment beaucoup de fois. Et en une multitude de vies différentes. » dis-je. « Dans ta vie à venir, tu vas être une jeune paysanne chinoise en 540 avant JC. »

« Attendez… Quoi ? » tu bégayas. « Vous me renvoyez dans le passé ? »

« Eh bien, techniquement, oui. Le temps, comme tu le connais, n’existe que dans ton univers. Les choses sont différentes là d’où je viens. »

« D’où viens-tu ? » tu demandas.

« Bien sûr. » expliquai-je. « Je viens d’autre part. De quelque part d’autre. Et il y en a plein d’autres comme moi. Je sais que tu aimerais savoir comment ça se passe ici, mais honnêtement, tu ne comprendrais pas. »

« Oh », tu dis, un peu abattu. « Mais attendez un peu. Si je suis réincarné dans un autre point du temps, j’ai pu interagir avec moi-même à des moments. »

« Bien sûr. Cela arrive tout le temps. Et comme chaque vie n’est consciente que de sa ligne temporelle, tu ne t’en rends même pas compte quand cela arrive. »

« Alors, quel est l’intérêt de tout ça ? »

« Sérieusement ? » demandai-je. « Tu me demandes sérieusement quel est le sens de la vie ? Ca fait pas un peu stéréotype ? »

« C’est une question raisonnable. » tu insistas.

Je te regardai dans les yeux. « Le sens de la vie, la raison pour laquelle j’ai créé tout cet univers : c’est pour que tu mûrisses. »

« Vous voulez dire l’humanité ? Vous désirez que nous mûrissions. »

« Non. Juste toi. J’ai créé cet univers entier rien que pour toi. A chaque nouvelle vie, tu grandis et mûris et deviens un plus grand et un meilleur esprit.  »

« Que pour moi ? Et tous les autres ? »

« Il n’y a pas d’autres. » dis-je, « Dans cet univers, il n’y a que toi et moi. »

Tu me fixas d’un air ébahi. « Mais tous les gens sur Terre… »

« Ils sont tous toi. Différentes incarnations de toi. »

« Attendez. Je suis tout le monde ! »

« Tu commences à comprendre, maintenant. » te dis-je en te donnant une tape dans le dos.

« Je suis tout être humain qui a jamais vécu ? »

« Et ne vivra jamais, oui. »

« Je suis Abraham Lincoln ? »

« Et tu es aussi John Wilkes Booth,  » ajoutai-je.

« Je suis Hitler ? » tu t’exclamas, horrifié.

« Et tu es les millions de gens qu’il a tués. »

« Je suis Jésus ? »

« Et tu es tous ceux qu’ils l’ont suivi. »

Tu tombas silencieusement.

« Chaque fois que tu persécutais quelqu’un,  » dis-je, « c’est toi-même que tu persécutais. Chaque acte de bonté que tu as réalisé, c’est à toi que tu l’as fait. Chaque moment heureux ou malheureux vécu par un homme a été, ou sera, vécu par toi. »

Tu réfléchis un long moment.

« Pourquoi ? », me demandas-tu, « Pourquoi faire tout cela ? »

« Parce qu’un jour, tu deviendras comme moi. Car c’est ce que tu es. Tu es l’un des miens. Tu es mon enfant. »

« Wow,  » tu dis, « Tu veux dire que je suis un Dieu ? »

« Non. Pas encore. Tu n’es qu’un fœtus. Tu grandis encore. Quand tu auras vécu toutes les vies humaines à travers le temps, tu auras grandi assez pour naitre. »

« Donc, l’univers entier », tu dis, « n’est rien que… »

« Un œuf. « , répondis-je, « Il est maintenant temps que tu partes pour ta nouvelle vie. »

Et je t’envoyai sur ton chemin.

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