Ceux qui me connaissent sont souvent agacés par une manie personnelle que j’ai : la power song. Expression piquée à mon ami Vins qui signifie LA chanson du moment que l’on adore écouter en boucle. Bon, le seul problème c’est que, non content de l’écouter en boucle, je la chante à tout bout de champ. Du coup, mes collègues, amis et tout mon entourage apprennent petit à petit les paroles avec moi.
Dernièrement, j’étais dans une grosse période Tryo et notamment leur dernier album « Ce que l’on sème » (qui doit être celui qui a tourné le plus dans la voiture, d’ailleurs…). J’ai appris à adorer Tryo. C’est un des groupes français le plus musical que je connaisse. J’entends par là que peu de groupes parviennent à composer des mélodies si abouties, si entraînantes. « Tu parles c’est du reggae. Ca ressemble à toutes les chansons de reggae. » Faux. Chez Tryo, vous avez toujours des petits riffs de guitare discrets et bien posés en arrière-plan et surtout une mélodie pour le chant excellente, vibrante et rythmée. Je reproche à Tryo en revanche de tomber un peu trop facilement dans les paroles du genre « la guerre c’est pas bien, la mort c’est pas beau et les politiciens c’est tous des pas gentils ». Mais certaines chansons me font mentir.
J’en viens donc à l’une de mes dernières power song : « Une saison de trop » issue du dernier album de Tryo. Voilà à mon sens une chanson parfaite qui me suivra toute ma vie. L’une de celles dont la musicalité m’inspire et me transporte à chaque écoute. L’une de celles qui me vient en tête naturellement (à l’instar de « Serre-moi » de Tryo aussi) lorsque, d’humeur chantante, je cherche un air à chanter à tue-tête sous ma douche. « Une saison de trop » allie non seulement l’une des mélodies qui me parle le plus de l’album (suivie de près par « El dulce de leche »), mais incontestablement l’un des plus beaux textes de Tryo depuis sa création.
Voici les paroles de la chanson retranscrite ici à l’oreille :
Tryo – Une Saison de Trop
Elle a laissé juste un cil
Sur sa joue et c’est pour qu’il
La regarde encore une fois
Comme elle a plissé des yeux
Il a deviné son voeu
C’est le même a chaque fois
Un voyage
Et des ballons sur le rivages
Un râteau, une pelle et un seau
Un enfant sur le dos
Comme il peine
A offrir un prince à la reine
La belle quittera le château
Elle partira bientôt
Comme il n’ose pas lui dire
Tout finit dans un soupir
C’est le même à chaque fois
Et comme il fallait un geste
Il est pour celui qui reste
Glissera entre ses doigts
Et elle file
Vers une romance, un exil
Cherchera toujours le repos
Un enfant sur le dos
Elle voyage
Osera-t-il prendre le large
Son corsaire ou son hidalgo
Qu’elle aimera bientôt
Que la vie lui pardonne
Vers la fin de l’automne
De suivre les oiseaux
Et de semer les hommes
De redouter en somme
Une saison de trop
Se réveillent les caresses
Sous l’orage et les averses
Quand le beau temps reviendra
Elle retrouvera le fil
Et le printemps sur son île
Qu’un autre partagera
Elle voyage
Et les cris d’enfants sur la plage
Trouveront enfin pour écho
Un enfant sur son dos
Le temps passe
Le vent frissonne
L’hiver menace
Mais son corsaire, son hidalgo
Arrivera bientôt
Que la vie lui pardonne
Vers la fin de l’automne
De suivre les oiseaux
Et de semer les hommes
De redouter en somme
Une saison de trop
Aux premières écoutes, on parvient difficilement à trouver directement le thème de la chanson. Mais, à force d’écoutes assidues, je suis arrivé à être quasiment sûr de moi : cette chanson parle de la ménopause. Oui, oui. Vous avez bien lu ! Tryo est parvenu à faire une chanson aussi belle sur un sujet aussi… incongru que loin de la poésie. Et pourtant… Analysons la chanson strophe par strophe et même ver par ver.
Strophe 1
On imagine une femme et un homme dans un lit. La femme partage sa vie avec lui depuis un bon moment. Mais elle n’a qu’une idée en tête avoir un enfant. Et cela devient très pressant : la femme commence à arriver à un âge certain. La ménopause menace même. Aussi, elle multiplie les signes envers son compagnon qui lui ne se sent pas près encore. Dans la première strophe, Tryo raconte l’un de ces signes. En France, lorsque quelqu’un a un cil sur la joue et quelqu’un d’autre le lui fait remarquer, on lui dit de l’enlever en faisant un vœu. C’est une tradition très lointaine et très répandue. Sauf que là, la femme a fait exprès de laisser un cil pour qu’il lui dise « Fais un vœu ». Sauf qu’il connait son vœu « c’est le même à chaque fois ». Avoir un enfant.
Strophe 2
La deuxième strophe décrit clairement le vœu de la femme en question : avoir un enfant. Marcher avec lui sur une plage, le regarder jouer et rire dans le sable. Sauf que l’on apprend aussi clairement que l’homme avec qui elle est ne veut pas s’engager dans le chemin de la paternité et lui offrir ce qu’elle désire le plus au monde. Alors, comme à chaque fois qu’un homme « peine à lui offrir son petit prince », elle va être obligée de partir, prenant à la fois le risque d’attendre trop et saisissant un même temps une nouvelle chance de trouver celui qui lui fera un enfant. Car le temps presse, elle ne peut plus se permettre de rester avec un homme et attendre patiemment qu’il se décide à assumer. Alors, « Elle partira bientot ».
Strophe 3
Comme à chaque fois qu’elle lui fait signe qu’il faudrait qu’il se décide, il ne répond pas ou soupire silencieusement. Devant un tel silence, elle est contrainte de partir, de le quitter. Ses doigts qui « glisseront entre ses doigts » à lui, sont ceux de la femme qui s’en va vers son dilemme personnel énoncé plus haut : prendre le pari de trouver un autre homme en risquant de finalement finir seule, en « exil ». Mais elle ira jusqu’au bout, quoi qu’il lui en coûte. Elle « ne trouvera le repos », qu’une fois « l’enfant sur son dos ». Et il est où, lui ? Il attend quoi son héros qui viendra la délivrer de son calvaire ? Qu’attend-il pour « prendre le large » ? En tout cas, elle l’attend et c’est lui qu’elle « aimera bientôt ».
Refrain
Alors bien sûr, aller d’hommes en hommes parce qu’ils sont lâches, ne donne pas une très belle image d’elle. C’est même contraire à la bienséance et elle devrait attendre patiemment sans les brusquer. Mais il faut la comprendre, lui « pardonner » de s’en aller (« suivre les oiseaux »), car à son âge avancé, la prochaine saison sera peut-être la saison de trop, scellant sa solitude et sa tristesse infinie de n’avoir pu donner la vie. L’analogie avec les saisons est forte dans la chanson : le printemps signifie le renouveau, la naissance ; l’été sont les beaux jours ; l’automne annonce l’arrivée du temps dur et fatidique de l’hiver. Elle fuit l’hiver comme les oiseaux migrateurs courant chercher la chaleur des pays méridionaux. Elle fuit, elle, à la recherche de la chaleur de celui qui lui offrira son enfant.
Strophe 4
Les « orages et les averses » de l’automne balaient le chemin de sa quête du père de son enfant. L’hiver est proche et il faut que « les caresses se réveillent ». Là, c’est juste un mauvais moment à passer. Mais elle garde confiance et la foi. Elle s’imagine tellement heureuse sur son île, son paradis qu’elle cherche désespérément, avec son enfant et son homme au printemps prochain, « quand le beau temps reviendra ».
Strophe 5
En attendant, elle « voyage », va d’homme en homme, cherchant le bon avec qui elle partagera son île sus-citée. L' »hiver menace » toujours, mais elle garde la foi. Elle va le trouver son sauveur ! Celui qui va oser, qui n’aura pas peur de se jeter à l’eau ! Son « corsaire », son « hidalgo », qui « arrivera » et qu’elle « aimera bientôt ».
Je pense être à peu près sûr de cette analyse mais bon, on ne sait jamais. Je peux m’être trompé. Si Christophe Mali passe par là, tu confirmes ? Quoi qu’il en soit, si vous cherchez un petit moment de douceur en période de mélancolie passagère, laissez-vous bercer par « Une saison de trop » de Tryo. Un nectar de chanson qui vous redonnera le sourire. Power song spotted!
Ahhhh on est bien !
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